lundi 17 octobre 2011

Les fausses bonnes idées

Voila longtemps que je voulais dire tout le mal que je pense de la rémunération des stagiaires restant plus de 40 jours consécutifs dans un labo.
Et oui, la sorcière aux dents vertes (qui ne sévit plus sur la montagne Ste Geneviève, où un ectoplasme l'a remplacée), la sorcière aux dents vertes disé-je, décida un beau jour que trop, c'est trop, halte à l'exploitation des stagiaires. Jusque là, rien à redire, on connait tous des entreprises qui plutôt que faire un contrat de travail à durée déterminée, ont trouvé bien plus futé pour faire tourner la boîte:
LE STAGIAIRE
Un jeune diplômé, motivé par l'espoir souvent vain d'obtenir à la suite un vrai boulot, accepte de bosser à l'oeil pour ajouter une ligne à son CV. Gerbant. Mettre un peu d'ordre dans tout ça en légiférant n'est pas vraiment choquant, même plutôt positif.

Là où ça devient surréaliste, c'est que cette loi s'applique à tous les stages, tous. Y compris donc, ceux obligatoires dans le cadre de la scolarité, et permettant de former les étudiants. En particulier en M2 (DEA pour ceux qui parlent encore en anciens francs). Ben oui, un M2 reste 6 mois dans un labo pour apprendre l'expérimentation, les balbutiements de la recherche. De mon temps (au siècle passé donc) on pouvait obtenir une bourse de DEA attribuée par l'université. En gros, elle couvrait la cotisation sécurité sociale, et payait les coupons de carte orange (l'ancêtre de Navigo) à condition de se déplacer dans les zones 1 et 2.
Maintenant, dans ce merveilleux monde d'excellence, le labo doit rémunérer son M2, la gratification minimale étant de 487€ par mois soit pour 6 mois pas loin de 3000 €. Un investissement colossal pour les labos aux finances sinistrées. Un investissement basé sur un énorme pari : l'étudiant va être bon, et réussira le concours de l'école doctorale pour réaliser sa thèse au labo. Un ticket de loto bien cher donc ...
Cette année (enfin la 2010-2011), nous avons été plusieurs équipes à jouer ... et à perdre. Passe encore sur ceux qui ont eu un étudiant sérieux, ayant fourni un travail soigneux qui sera exploitable par la suite, mais qui s'est vautré au concours (enfin vautré, tout est relatif, qui n'a pas fini dans les 10 premiers). Moi, j'ai touché le jackpot. 2011, le budget de mon équipe était tout simplement catastrophique (5000 € pour tenir un an), et ce fut un vrai sacrifice que de recruter un M2 (j'ai ainsi renoncé à deux congrès hyper important, et je n'ai pas pu remplacer mon portable quand la carte mère a grillé). Cela dit, mon thésard venait de partir sous des cieux météorologiquement moins cléments, laissant une voie royale de manips jackpot bouclables en 6 mois. Autrement dit, c'était le moment où jamais d'enchaîner avec un nouveau padawan.

Je n'ai jamais eu de chance au jeu (j'aurai dû m'en souvenir avant ...). J'ai donc eu l'infime honneur de choisir l'étudiante la plus nulle qu'il m'ait jamais été donné de croiser dans le métier. Deux de tension, pas trop vite le matin, doucement le soir, et surtout ce qui ne pardonne pas en sciences expérimentales deux pieds gauches en guise de mains. Nulle. Archi-nulle. Et guère motivée. Me taillant une réputation de "méchante" quand après 3 mois de manips ratées, je lui fis part de ma décision de ne pas la présenter au concours de l'ED, et surtout lui conseillai d'envisager un autre avenir que la thèse. Alors que tous ceux qui me connaissent se demandaient comment il était possible qu'elle n'ait pas été clouée sur la porte du labo à titre d'exemple. Alors que ma tech au coeur d'or était au bord du meurtre.

Bref, tout ça pour dire qu'on dira ce que l'on veut, le stage de M2 n'est pas la mise en oeuvre d'une expérience déjà acquise. En gros c'est un TP en situation. Et que je ne vois pas pourquoi les étudiants devraient être payés. Ou alors, il faut les payer pour qu'ils posent leur cul sur les bancs des amphis.
Ce qui est tordant, c'est que dans beaucoup de pays, quand un labo forme un étudiant, il touche un "bench fee". Chez nous, le labo qui forme un étudiant dépose le bilan à la fin du stage. Edifiant, non ??

Le meilleurs reste néanmoins à venir (en fait ça commence déjà, deux cas dans l'institut). Il est effectivement prévu que
si le stage se fait sur deux périodes différentes au cours de la même année scolaire, mais que la durée totale dépasse 2 mois (40 jours), l'employeur devra également vous verser la gratification de stage rétroactivement.
Vous voyez arriver le gag ? un étudiant qui fera deux UE avec stage sur deux semestres différents (durées de stages prévues inférieures aux fatidiques 8 semaines pour ne pas avoir à rémunérer, cas des M1 en général), peut obliger le second labo à lui rémunérer la totalité des deux stages !!! Un seul employeur : l'université.

Moralité, les universités exsangues (faute d'être excellentes) ont supprimé à tour de bras les TP, et mis en place des UE de stage pour continuer malgré tout à avoir des étudiants formés à l'expérimentation. Sauf que le nombre de labos qui se sont fait avoir commence à gonfler, et que trouver des stages devient la quadrature du cercle.
En ce qui me concerne, c'est dorénavant très clair. Je ne prendrais plus de M2 qui ne soit déjà passé au labo, de préférence en M1. Mais, ce M1 devra n'avoir fait aucun stage l'année où je souhaite l'accueillir histoire de ne pas risquer le passage au tribunal !!

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Ah bon ah bon??? Nous l'université fractionne le stage en 2: stage septembre/un peu octobre-cours/re-stage, histoire de ne pas payer les M2 (parce que nous non plus, on n'a pas d'sioux).
Et là, j'apprends que ce stratagème ne marche pas?? Oups, on est mal!

Marie a dit…

Disons que le stratagème marche ... si les étudiants ne sont pas au courant de la loi, ou qu'ils sont "désintéressés". Si ce n'est pas le cas, ça se termine au tribunal administratif où ils auront forcément gain de cause puisque ce cas est prévu par la loi.

bergere a dit…

Ah lalala.... Ce qui m’étonne toujours se sont comment les super prof peuvent dégotter des étudiants désastreux. Ma prof des US, un ponte de chez ponte dans son domaine, a 50% de son effectif étudiant (Master+thésards) est catastrophique. Il me semble que tu appartiennes a cette catégorie ;-) Comment peux tu recruter une telle stagiaire, ou alors elle était shootée pour l'entretien c'est pas possible. Ou alors tu n'as pas eu le choix, ce qui est un autre problème dans la filière universitaire en france, pas d'entretien d'embauche... C'est pas parce qu’on sait faire du bachotage qu'on va être un bon scientos... M'enfin ca c'est du vécu hein!

Marie a dit…

C'est en fait le résultat d'un double problème:
1- la chute libre des effectifs d'étudiants dans les Masters "recherche", fait que l'on ne peut pas se montrer trop difficile au moment du recrutement.
2- de loin le plus problématique, un étudiant en M2 n'est pas au même niveau qu'un étudiant de DEA. C'est bête, mais l'absence de sélection entre M1 et M2 se fait de plus en plus sentir. Et bien souvent, ces étudiants ne voient la thèse que comme un moyen d'éviter la recherche d'emploi en gardant le statut d'étudiant. Les motivations scientifiques sont le dernier de leurs soucis (il y a toujours des exceptions, mais elles sont de plus en plus rares).

Marie a dit…

et sinon, je ne sais pas si je suis dans la catégorie "super prof" ;-) en tout cas, je suis mal placée pour me prononcer sur la question !!