Je découvre un peu en retard un article du Monde intitulé « Le CNRS adopte une réforme qui évite son démembrement ». Ce n’est pas tant l’article qui m’a perturbé, que les commentaires des lecteurs. Je pensais que le Monde était un journal plutôt de centre gauche, lu par un lectorat plutôt situé dans les catégories dites intellectuelles. A la lecture des commentaires, je vais quelque peu réviser mon opinion.
Malheureusement, il n’est possible de laisser une contribution que lorsqu’on est abonné au journal. Et je n’ai aucune intention de prendre un abonnement dans l’unique but de répondre à des personnes qui de toutes façons ne liront pas ma réponse, ou bien penseront que je mens, ou que je suis atteinte de corporatisme aïgu, ou…. Toute ressemblance avec une situation récente n’est absolument pas fortuite. De part et d’autre, c’est la même intolérance.
Ici, je suis chez moi, et je ne vais pas me priver de reprendre certains arguments et d’y répondre.
De l’incapacité des chercheurs à produire des résultats:
(fautes d’orthographe d’origine)
« que l'on casse cette clique qui, en cinquante ans, n'a produit en France aucune decouverte majeure dans aucun domaine »
« Effectivement, il faut cesser de qualifier ces gens de "chercheurs". On a besoin de "Trouveurs". Comme personne n'est capable de lui fixer des objectifs, qualitatifs comme quantitatifs, le CNRS vogue vaguement, ne faisant parler de lui que lorsque ses mesquins avantages sont remis periodiquement en question. »
« PICASSO aimait dire "je ne cherche pas ! je trouve" tout le contraire des fonctionnaires du CNRS qui eux pouraient s'exclamer en coeur " on ne trouve RIEN on cherche !!! " »
« ce que refusent de voir la pluspart d'entre vous, c'est que la recherche française n'est PAS à un niveau mondial convenable. »
Bon, donc nous ne trouvons rien, nous ne produisons rien de correct et ce depuis la nuit des temps. Laissons de coté les prix Nobel et médailles Fields.
Morceaux choisis sur 2008 (source journal du CNRS):
Juillet 08 : James Badro, chargé de recherche du CNRS à l'Institut de Minéralogie et de Physique des Milieux Condensés, médaille de bronze 2007 du CNRS, lauréat "Jeunes Chercheurs" 2008 de l' ERC, vient de se voir attribuer la médaille Macelwane de l'AGU (American Geophysical Union), la plus haute distinction pour un jeune géophysicien aux Etats-Unis. Il est le 2e Français à recevoir cet honneur depuis la fondation de la médaille en 1962.
Juillet 08 : Cancer du sein : Comment les cellules tumorales rompent les amarres pour aller former des métastases. L'équipe de Philippe Chavrier, directeur de recherche CNRS, vient de découvrir une des « clés » permettant aux cellules cancéreuses mammaires de briser les liens qui les relient à la tumeur.
Juin 08 : Un logiciel pour mieux diagnostiquer la maladie d'Alzheimer au stade précoce. Des chercheurs CNRS du Laboratoire de neurosciences cognitives et d'imagerie cérébrale ont mis au point un logiciel de traitement d'images permettant la mesure automatique du volume de l'hippocampe, une structure cérébrale atrophiée aux premiers stades de la maladie d'Alzheimer. A l'avenir, cet outil pourrait aider efficacement les médecins à établir un diagnostic précoce de cette maladie.
Juin 08 : Du nouveau dans les premiers peuplements eurafricains ? Une mandibule complète d'Homo erectus a été découverte par une équipe franco-marocaine co-dirigée par Jean-Paul Raynal, directeur de recherche au CNRS.
Juin 08 : le glaciologue Claude Lorius, directeur de recherche émérite CNRS, est le premier français à recevoir le Prix Blue Planet, l'une des plus prestigieuses récompenses internationales dans le domaine de l'environnement.
Fevrier 08 : Joseph Sifakis, directeur de recherche au CNRS médaillé d'argent du CNRS en 2001, vient de se voir décerner le Prix Turing 2007, la plus haute distinction en Informatique, prix prestigieux considéré comme l'équivalent du prix Nobel de ce domaine.
Je pense que cela se passe de commentaires supplémentaires.
Des salaires et de la sécurité de l’emploi :
« Que des gens puissent choisir de se faire payer à vie par ceux qui bossent et produisent […] »
« Les chercheurs à vie peuvent continuer à dormir tranquille, leur statut n'est pas menacé »
« il suffit de rencontrer des gens du CNRS quand on bosse en entreprise pour comprendre leur rejet du monde réel (sauf leur paie) »
« Derrière quelques pointures scientifiques de renommée mondiale se cachent la forêt des petits malins, bien ou moyennement payés, qui profitent d'un système […] »
J’ai fait 10 ans d’études après le bac, je me suis expatriée deux ans aux USA. J’ai eu mon premier emploi stable à 30 ans. J’ai dû, à plus de 40 ans, repasser un diplôme pour pouvoir continuer à encadrer des doctorants.
Lorsque je suis entrée au CNRS, j’ai consenti une baisse salariale de plus de 20%.
Je suis en poste depuis 17 ans, et depuis un an j’ai terminé ma carrière en terme de rémunération. Ce qui signifie que les 18 prochaines années seront à salaire constant.
A l’heure de la retraite, n’ayant cotisé que 38 ans (35 ans de CNRS plus 3 ans de doctorat), je me verrai appliquer une décote non négligeable. Et vous savez quoi ? J’ai de la chance ! La moyenne d’âge au recrutement ne cesse de s’élever (je dirai à la louche autour de 35 ans).
Je suis royalement payée 24€ net de l’heure (primes incluses) sur la base de 38h30 hebdomadaire. Mes semaines de travail se trouvent être bien plus entre 42 et 45 heures, ce qui veut dire que je travaille plus pour gagner moins.
N’importe quel cadre d’une banque doit avoir un salaire équivalent voire supérieur au mien, un travail à vie (un CDI quoi !), et profite d’avantages réels (faibles taux d’intérèts sur les emprunts, 13ème voire 14ème mois…). Qui s’insurge de cette situation ?
Alors qu’on me parle de ma paie, qu’on considère que je suis bien payée, que je profite du système me fait vomir. Lequel de ces donneurs de leçons aurait accepté de partir vivre à l’étranger sur un contrat où du jour au lendemain on peut être remercié ? Lequel de ces donneurs de leçons accepterait d’aller travailler le week end, ou de passer ses soirées à tenter de rattraper le retard accumulé, sans envisager une minute que cela conduise à un meilleur salaire ou à des jours de récupération ? Lequel de ces donneurs de leçons accepterait à niveau socio-professionnel équivalent d’avoir un salaire horaire à peine deux fois supérieur au salaire que demande une femme de ménage en région parisienne ? Malgré tout, les revendications des chercheurs n’ont jamais concerné leur salaire, mais se sont toujours concentrées sur les crédits leur permettant de travailler.
Croyez vous que nous faisions ce choix pour profiter du système ? Non, aussi stupide que cela puisse paraître, c’est parce que nous aimons la science, que nous sommes avides de connaissance, que nous avons foi en l’avenir. Et pour cela, nous sommes prèts à consentir d’énormes sacrifices dans notre vie privée, et pas seulement pécuniers.
Nous ne demandons pas qu’on nous admire ou qu’on nous sanctifie, nous demandons juste qu’on cesse de nous mépriser.
Malheureusement, il n’est possible de laisser une contribution que lorsqu’on est abonné au journal. Et je n’ai aucune intention de prendre un abonnement dans l’unique but de répondre à des personnes qui de toutes façons ne liront pas ma réponse, ou bien penseront que je mens, ou que je suis atteinte de corporatisme aïgu, ou…. Toute ressemblance avec une situation récente n’est absolument pas fortuite. De part et d’autre, c’est la même intolérance.
Ici, je suis chez moi, et je ne vais pas me priver de reprendre certains arguments et d’y répondre.
De l’incapacité des chercheurs à produire des résultats:
(fautes d’orthographe d’origine)
« que l'on casse cette clique qui, en cinquante ans, n'a produit en France aucune decouverte majeure dans aucun domaine »
« Effectivement, il faut cesser de qualifier ces gens de "chercheurs". On a besoin de "Trouveurs". Comme personne n'est capable de lui fixer des objectifs, qualitatifs comme quantitatifs, le CNRS vogue vaguement, ne faisant parler de lui que lorsque ses mesquins avantages sont remis periodiquement en question. »
« PICASSO aimait dire "je ne cherche pas ! je trouve" tout le contraire des fonctionnaires du CNRS qui eux pouraient s'exclamer en coeur " on ne trouve RIEN on cherche !!! " »
« ce que refusent de voir la pluspart d'entre vous, c'est que la recherche française n'est PAS à un niveau mondial convenable. »
Bon, donc nous ne trouvons rien, nous ne produisons rien de correct et ce depuis la nuit des temps. Laissons de coté les prix Nobel et médailles Fields.
Morceaux choisis sur 2008 (source journal du CNRS):
Juillet 08 : James Badro, chargé de recherche du CNRS à l'Institut de Minéralogie et de Physique des Milieux Condensés, médaille de bronze 2007 du CNRS, lauréat "Jeunes Chercheurs" 2008 de l' ERC, vient de se voir attribuer la médaille Macelwane de l'AGU (American Geophysical Union), la plus haute distinction pour un jeune géophysicien aux Etats-Unis. Il est le 2e Français à recevoir cet honneur depuis la fondation de la médaille en 1962.
Juillet 08 : Cancer du sein : Comment les cellules tumorales rompent les amarres pour aller former des métastases. L'équipe de Philippe Chavrier, directeur de recherche CNRS, vient de découvrir une des « clés » permettant aux cellules cancéreuses mammaires de briser les liens qui les relient à la tumeur.
Juin 08 : Un logiciel pour mieux diagnostiquer la maladie d'Alzheimer au stade précoce. Des chercheurs CNRS du Laboratoire de neurosciences cognitives et d'imagerie cérébrale ont mis au point un logiciel de traitement d'images permettant la mesure automatique du volume de l'hippocampe, une structure cérébrale atrophiée aux premiers stades de la maladie d'Alzheimer. A l'avenir, cet outil pourrait aider efficacement les médecins à établir un diagnostic précoce de cette maladie.
Juin 08 : Du nouveau dans les premiers peuplements eurafricains ? Une mandibule complète d'Homo erectus a été découverte par une équipe franco-marocaine co-dirigée par Jean-Paul Raynal, directeur de recherche au CNRS.
Juin 08 : le glaciologue Claude Lorius, directeur de recherche émérite CNRS, est le premier français à recevoir le Prix Blue Planet, l'une des plus prestigieuses récompenses internationales dans le domaine de l'environnement.
Fevrier 08 : Joseph Sifakis, directeur de recherche au CNRS médaillé d'argent du CNRS en 2001, vient de se voir décerner le Prix Turing 2007, la plus haute distinction en Informatique, prix prestigieux considéré comme l'équivalent du prix Nobel de ce domaine.
Je pense que cela se passe de commentaires supplémentaires.
Des salaires et de la sécurité de l’emploi :
« Que des gens puissent choisir de se faire payer à vie par ceux qui bossent et produisent […] »
« Les chercheurs à vie peuvent continuer à dormir tranquille, leur statut n'est pas menacé »
« il suffit de rencontrer des gens du CNRS quand on bosse en entreprise pour comprendre leur rejet du monde réel (sauf leur paie) »
« Derrière quelques pointures scientifiques de renommée mondiale se cachent la forêt des petits malins, bien ou moyennement payés, qui profitent d'un système […] »
J’ai fait 10 ans d’études après le bac, je me suis expatriée deux ans aux USA. J’ai eu mon premier emploi stable à 30 ans. J’ai dû, à plus de 40 ans, repasser un diplôme pour pouvoir continuer à encadrer des doctorants.
Lorsque je suis entrée au CNRS, j’ai consenti une baisse salariale de plus de 20%.
Je suis en poste depuis 17 ans, et depuis un an j’ai terminé ma carrière en terme de rémunération. Ce qui signifie que les 18 prochaines années seront à salaire constant.
A l’heure de la retraite, n’ayant cotisé que 38 ans (35 ans de CNRS plus 3 ans de doctorat), je me verrai appliquer une décote non négligeable. Et vous savez quoi ? J’ai de la chance ! La moyenne d’âge au recrutement ne cesse de s’élever (je dirai à la louche autour de 35 ans).
Je suis royalement payée 24€ net de l’heure (primes incluses) sur la base de 38h30 hebdomadaire. Mes semaines de travail se trouvent être bien plus entre 42 et 45 heures, ce qui veut dire que je travaille plus pour gagner moins.
N’importe quel cadre d’une banque doit avoir un salaire équivalent voire supérieur au mien, un travail à vie (un CDI quoi !), et profite d’avantages réels (faibles taux d’intérèts sur les emprunts, 13ème voire 14ème mois…). Qui s’insurge de cette situation ?
Alors qu’on me parle de ma paie, qu’on considère que je suis bien payée, que je profite du système me fait vomir. Lequel de ces donneurs de leçons aurait accepté de partir vivre à l’étranger sur un contrat où du jour au lendemain on peut être remercié ? Lequel de ces donneurs de leçons accepterait d’aller travailler le week end, ou de passer ses soirées à tenter de rattraper le retard accumulé, sans envisager une minute que cela conduise à un meilleur salaire ou à des jours de récupération ? Lequel de ces donneurs de leçons accepterait à niveau socio-professionnel équivalent d’avoir un salaire horaire à peine deux fois supérieur au salaire que demande une femme de ménage en région parisienne ? Malgré tout, les revendications des chercheurs n’ont jamais concerné leur salaire, mais se sont toujours concentrées sur les crédits leur permettant de travailler.
Croyez vous que nous faisions ce choix pour profiter du système ? Non, aussi stupide que cela puisse paraître, c’est parce que nous aimons la science, que nous sommes avides de connaissance, que nous avons foi en l’avenir. Et pour cela, nous sommes prèts à consentir d’énormes sacrifices dans notre vie privée, et pas seulement pécuniers.
Nous ne demandons pas qu’on nous admire ou qu’on nous sanctifie, nous demandons juste qu’on cesse de nous mépriser.
5 commentaires:
Je m'excuse mais c'est pas nouveau ce type de phenomene. Les ploucs ont toujours eu tendance a mepriser les instruits, c'est du racisme sociale de base.
Et forcement, y'a beaucoup plus de cons que de chercheurs.
Comme disait Coluche, "quitte a m'engeuler, je prefere m'engueuler avec les moisn nombreux, et comme y'a beaucoup plus de racistes que de noirs en France..."
Je me souviens egalement avoir participer a un chat sur le monde.fr, ou les mecs ralaient sur les chercheurs qui se plaignaient du manque de poste ou de credit. Je m'etais fait dire quand meme apres 8 ans d'etudes payes par l'etat que j'avais qu'a me recycler ou partir a l'etranger si j'etais pas content de ma situation...
Et ce sont les memes qui gueulent ensuite sur la "fuite des cerveaux qui profitent aux USA"...
Les cons ne comprenent rien a rien. C'est caracteristique.
Tres bien ce post. Je repiquerai sans doute des arguments un jour...
En attendant, je voudrais comprendre pourquoi l'info ne passe pas. Je veux dire pourquoi les idees recues sur le CNRS et les chercheurs en general sont toujours ancrees dans l'opinion publique? parce qu'il me semble que la majorite des gens pensent que les chercheurs sont des feignasses payees a vie pour ne rien trouver. Meme dans ma famille je me prends ce genre de reflexion.
Et comme dit le Piou, les memes ne comprennent pas que je sois payee 3 fois plus maintenant a l'etranger pour le meme boulot et que la France n'encourage pas notre retour.
Alors manipulation politique pour jsutifier les suppressions de credits et de postes? J'ai du mal a comprendre que la communaute scientifique n'arrive pas a montrer au public sa vraie valeur...
Je pense qu'il ne faut pas non plus tomber dans le "calimerisme". Ce qui nous arrive, nous en sommes en partie responsables. Quand je dis nous, c'est au sens large, dit autrement ce n'est pas récent!
D'une part je pense que nous payons le prix d'années passées dans la tour d'ivoire. Nous, biologistes, devrions de plus être bien placés pour savoir qu'il faut s'adapter pour survivre. La société a changé, et pas nous. Je pense que c'est notre responsabilité.
D'autre part, la France est un vrai cas particulier puisque deux systèmes d'éducation cohabitent: l'université et les grandes écoles. Je pense que tous les parents souhaitent que leur progéniture fasse polytechnique (moi excepté bien sur ;-) )mais pas l'université...
Le résultat c'est que les études universitaires sont déconsidérées chez nous à l'inverse de bien d'autres pays.
Si on ajoute à cela le discours un peu sclérosé des syndicats et SLR sur le thème 'ne changeons rien', nous n'en sortons pas grandis...et c'est d'ailleurs un peu mon malaise vis à vis de mon blog. Parce que pour l'instant, malheureusement les réformes en cours n'apportent aucune amélioration bien au contraire. Du coup, en me relisant je trouve que je tombe un peu dans le 'c'était mieux avant' finalement peu constructif...
Pour finir, et pour répondre au Piou, je trouve que les cons sont une espèce en expension.... difficile de ne pas leur parler!
On en croise même sur les berges de la Mérantaise c'est dire!!
Eh oui, nous sommes des incompris. J'avais déjà relevé des commentaires de lecteurs du Monde à propos d'un article paru en février, dans la même veine que les vôtres, cf. http://anthropopotamie.typepad.fr/anthropopotame/2008/03/nous-les-pantou.html
On peut dire que nous avons du pain sur la planche. Cela dit, vos arguments sont plus imparables que les miens.
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