mercredi 7 mai 2008

Le localisme fléau du recrutement universitaire ?

Je rebondis sur les commentaires de mon billet précédents qui font état d’un article paru dans le Monde du 2 mai, et intitulé :
« La cooptation des universitaires est mise en cause »

Dire que j’ai un peu de problèmes avec les journalistes parlant de science ou d’institution scientifiques est un euphémisme. Je ne me suis donc pas contentée de lire la prose de la journaliste qui sentait un peu trop le sensionnalisme à mon goût :
« A l'université, on recrute entre soi »
« Toutes universités et disciplines confondues, les candidats locaux ont dix-huit fois plus de chances que les candidats extérieurs d'obtenir un poste »

Il est clair qu’en lisant cela on se dit que pour être recruté il vaut mieux rester sur place….

Comme le rapport sur lequel est basé l’article en question est librement téléchargeable sur le net, j’en ai entrepris la lecture…. édifiante.

Certes, je ne suis pas sociologue, et peut être quelque chose m’a-t’il échappé dans la démarche des auteurs. Mais quand même, je suis assez étonnée des conclusions tirées au regard des valeurs de départ. Quant au traitement que fait la journaliste de cette information, comme toujours, c’est dans la dentelle…

Reprenons. Les auteurs de l’étude commencent fort mal à mes yeux, puisque la citation en exergue de leur étude n’est pas attribuée au bon auteur. Passons, ce n’est pas le propos.
Lorsque je lis (c’est moi qui grasse)
« Dans un premier temps, nous montrerons que les données statistiques habituelles ne permettent pas de mesurer complètement le phénomène. La mesure du différentiel de taux de succès n’est pas simple et nécessite des hypothèses d’approximation. On essaiera de donner une évaluation approximative du localisme pour les docteurs ayant soutenu entre 1972 et 1996 à partir d’une base de données originale, la base des thèses soutenues en France. Une fois acceptées nos hypothèses d’approximation, il apparaît que les candidats locaux sont très nettement favorisés dans le monde académique français. »

je coince un peu, car je comprends « les données statistiques utilisées ne nous permettent pas de démontrer notre postulat de départ, qui est que les universités pratiquent fortement l’endogamie. Nous appliquons donc des approximations qui vont réconcilier les données disponibles avec nos a priori ». Mais je dois faire du mauvais esprit…

Justement ces données, d’où sortent-elles et que disent-elles?
La source, c’est le ministère qui depuis 2002 publie une étude sur l’origine des enseignants-chercheurs recrutés (PR et MCF). J’ai poussé la conscience professionnelle jusqu’à télécharger et lire l’étude 2007.
Les auteurs eux ont compilé les données de 2002 à 2007, toutes disciplines et toutes universités confondues. Résultat (je ne parlerai pas des concours PR) :
30% des nouveaux maitres de conférence sont recrutés dans l’université dans laquelle ils ont soutenu leur thèse. Bon, on tourne à 1/3 d’endogamie (au sens très large), franchement il n’y a pas de quoi hurler au scandale, et surtout on est très très loin du 18 fois plus de chance pour des locaux annoncé par la journaliste...
Les auteurs de l’étude ne sont pas stupides, ils voient bien qu’avec ces valeurs le scandale de l’endogamie n’est pas près d’éclater. Qu’à cela ne tienne, ils vont émettre des hypothèses d’approximation. En d’autres termes, ils décident que ces données ne sont pas significatives, et qu’il faut leur appliquer un traitement supplémentaire. Ainsi, 7 hypothèses d’approximation vont être appliquées aux données. En conclusion de ce travail, on peut lire (je grasse):
« Notre estimation manque de précision et souffre de la fragilité de certaines de nos hypothèses sur la structuration de la concurrence et sur l’identification des recrutements. (…)Le taux de recrutement local « attendu » de 8% que nous avons estimé sur nos données ne doit pas être très différent de celui que nous pourrions calculer si nous disposions des données sur les candidatures et les recrutements au poste de maîtres de conférences au cours des six dernières années. Il peut être mis en regard avec le taux constaté de 30% entre 2002 et 2005 qui lui est 5 fois supérieur (au sens de l’odds ratio). »

Je suis ravie de voir que les auteurs reconnaissent la fragilité de certaines de leurs hypothèses mais surprise de constater que cela ne les gène pas pour valider leur méthode.

Surtout, je ne trouve toujours pas les 18 fois plus de chance au recrutement local annoncé dans l’article du Monde…mais peut être ai-je raté une marche ?

Ne reculant devant aucun sacrifice, j’ai ensuite regardé de plus près les valeurs 2007 fournies par le ministère, et le traitement qui a été réalisé. Vu l’heure tardive, je me suis limitée aux données concernant l’Ile-de-France. Que constate -t’on ? Que la situation est variable selon les disciplines, les Lettres arrivant en tête dans le recrutement local (au sens large), suivies du Droit puis des Sciences.

Reprenons. Nous avons trois disciplines (Lettres, Droit, Science) et trois catégories de recrutement : Doctorat de la même université (intra), Doctorat obtenu en IDF, Doctorat obtenu hors IDF (j’y ait ajouté les diplomes obtenus à l’étranger pour simplifier). L’endogamie au sens strict serait le % de recrutement de Docteurs de la même université, et au sens large de Docteurs de l’IDF. Rappelons au passage, que la région IDF comporte trois rectorats, et 13 universités, ce qui à mes yeux réduit un peu la portée de l’endogamie au sens large… (en sciences on compte 5 ou 6 universités – j’ai un doute sur Paris 12 ?).
Roulement de tambours, voici les valeurs :

Sciences : Intra, 23%, IDF, 39%, hors IDF, 38%, soit endogamie stricte de 23%, large de 62%
Droit : Intra, 38%, IDF, 40%, hors IDF, 22%, soit endogamie stricte de 38%, large de 78%
Lettres : Intra, 35%, IDF, 47%, hors IDF, 18%, soit endogamie stricte de 35%, large de 82%

Donc, candidats scientifiques à un poste de MCF, ne stressez pas trop, le jeu est assez ouvert ! En revanche, les juristes et les littéraires sont plus à plaindre… Tiens au fait, la sociologie se range dans quelle catégorie ?

PS1 : je tiens à disposition de qui veut se faire sa propre opinion les fichiers pdf des documents que j’ai lu pour ce billet (et franchement, je ne le referrai pas tous les jours…)
PS2: En fait, ce qui me fait sourire, c'est que pour moi un candidat local n'est pas un candidat qui a un doctorat de l'université qui le recrute, mais un candidat qui est déjà dans le laboratoire qui va accueillir le poste.... mais là j'ai peur que les données statistiques permettant l'analyse ne soient pas disponibles....

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour ce billet! Je n'avais pas lu l'etude, mais effectivement on dirait que Le Monde a bien deforme les choses... L'autre probleme de cet article, c'est l'hypothese que les candidats locaux sont forcement moins bons que les exterieurs et que recruter un local = recruter un incompetant. A priori, il n'y a pas de raison que les candidats exterieurs soient plus ou moins competants que les locaux... le local de l'universite X etant exterieur a l'universite Y! Il y a bien sur *quelques* cas ou le recrutement d'un local frole le scandale mais il ne faut pas exagerer. Un local ayant deja travaille sur les thematiques du poste, il n'est pas surprenant que son profil cadre bien. Et bon, a dossier equivalent, on ne peut pas repprocher a un labo de preferer recruter un candidat connu dont on sait qu'il sera bien insere dans le labo a un inconnu potentiellement antipathe...

Le Piou a dit…

Sans commentaire...

Marie a dit…

Pour A. oui, et en plus ce procès (récurrent) n'est jamais fait aux recrutements CNRS, alors que le labo choisi la personne qu'il présente. Et si le candidat n'est pas pris, on n'envoie pas le 1er du concours dans un autre labo !

Piou: heureusement que tu ne fais pas de commentaire... j'en ai bien 4 pages en stock! Tu sais quoi, discuter avec toi me manque, on est tous les 2 pareils, on veut toujours avoir raison, et sinon au moins le dernier mot!!